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OUVERTES À

LETTRES

Recette du best-seller

Lettre ouverte à tous les lecteurs de Didier van Cauwelaert*

 

 

 

Tout d’abord, il importe de garder à l’esprit que vous n’écrivez pas un roman, mais un produit commercial. Par conséquent, le but n’est pas d’écrire dans le but de vous faire plaisir ou faire plaisir à des amateurs de vraie littérature, mais d’écrire dans le but d’avoir du succès et de réaliser le maximum de ventes possible. Bannissez donc résolument, et dès le départ, toute recherche stylistique ou vocabulaire quelque peu érudit. Comme la cuisine bon marché, la recette du best-seller exige des ingrédients faciles à trouver et peu onéreux, mêlés à l’art d’accommoder les restes ou, si vous préférez, de faire du neuf avec du vieux. Votre produit fini aura un goût de déjà lu – pour le lecteur doté d’une certaine mémoire –, mais qu’importe. Il suffit que le lecteur puisse passer un bon moment sur la plage ou dans un train, ou encore dans une file d’attente, avec au bout du compte le sentiment gratifiant d’avoir lu ce qu’il faut avoir lu cette saison, et de pouvoir en parler, ou du moins prendre un air entendu lorsqu’on en parlera devant lui.

 

Bien entendu, vous aurez besoin de quelques ustensiles, sans lesquels le résultat serait beaucoup moins probant. Le futur best-seller l’est généralement avant même que quiconque l’ait lu ou seulement vendu, jusqu’à l’éditeur lui-même. Si vous avez déjà un nom dans la littérature de gare, le tour est presque joué, comme ces chanteurs se lançant à l’assaut du cinéma sans nul besoin de passer par le cours Florent ou le cours Morin, ou encore ces princesses qui jaillissent dans la chanson, laissant le public et elles-mêmes… sans voix. Quelques capitaux en provenance de tel ou tel pour financer une campagne publicitaire grand fracas, avec affiches à gogo portant votre photo, de préférence flatteuse, mais décontractée, genre « écrivain n’ayant plus besoin d’attendre le succès, déjà acquis, et pouvant, par conséquent, méditer sur le sens profond de l’existence et la destinée de ses semblables ». Ce portrait apparaîtra en gros plan au-dessous d’un titre simple et facile à retenir, le tout côtoyant un autre panneau publicitaire vantant un recueil de recettes de santé qui ne nous apprennent rien de neuf, par un médecin sorti d’on ne sait où, mais qui, par ce biais et par sa photo non moins avantageuse, deviendra Ze référence scientifique de l’année. Ajoutez à cela quelques encarts dans la rubrique « ce qu’il faut avoir lu cet été » de quelques magazines de référence (presse people, presse féminine, etc.), quelques émissions radio ou télévisées grand public, et la sauce n’est plus loin de prendre.

 

Ces prérequis étant posés, vous pouvez commencer la composition du best-seller proprement dit. Il vous faudra :

– Une intrigue à suspense et rebondissements, pas trop compliquée de préférence, afin que le lecteur ne perde pas le fil de l’histoire le temps de sauter d’un bus à l’autre, de piquer une tête ou de bronzer un peu.

– Une ou deux causes à défendre. Le sujet peut se trouver dans vos placards depuis plusieurs années, mais ce qui importe avant tout, c’est qu’il n’apparaisse pas démodé. Agrémentez-le donc au goût du jour, en y mêlant des personnages en lien avec l’actualité sociologique récente. Gardez bien à l’idée qu’il s’agit d’émouvoir le lecteur en le gagnant à votre cause. Pour cela, prenez la défense de quelques persécutés, mais des persécutés à la mode du moment. Et n’oubliez surtout pas que dans l’imaginaire collectif français, les pauvres sont parés des plus beaux et nobles sentiments et capables de tous les héroïsmes, tandis que les riches se définissent par leur cynisme et leur absence de scrupules.

– Faites des recherches approfondies à propos d’un ou deux sujets principaux, afin que le lecteur puisse refermer le livre avec l’apaisante sensation d’avoir appris beaucoup sans effort et de maîtriser à son tour le sujet, afin de pouvoir en parler brillamment en société.

– Le ton du livre doit être primesautier et bon enfant. Mêlez-y le maximum de traits d’humour dont vous êtes capable, le lecteur vous saura gré d’avoir essayé.

– Menez votre intrigue tel un scénario de cinéma. Les descriptions sont parfaitement superflues. Il est par exemple inutile que le lecteur ait l’impression de sentir les embruns et de se laisser fouetter par le vent, du moment qu’il peut situer l’action sur telle ou telle plage de la carte de France. Cependant, choisissez bien le lieu, car le livre doit pouvoir plaire à un public élargi, et le lecteur habitué au sable de Deauville ou à celui de Trouville aura du mal à s’identifier au petit Gaston passant ses vacances sur le port de Dunkerque.

– Insérez impérativement des scènes de sexe. Qu’importe que vous soyez inapte à décrire l’intensité des émotions de vos personnages, et que vos notions de psychologie féminine soient des plus réduites. Contentez-vous de décrire l’acte par le menu, comme au cinéma. Avec un peu de chance, vous verrez un jour la réédition de vos œuvres dans la collection Harlequin, consécration future du monde littéraire, la Pléiade s’étant condamnée récemment par des choix éditoriaux des plus hasardeux.

– Choisissez un narrateur, voire plusieurs. Le lecteur adore changer de point de vue à chaque chapitre, car le lecteur actuel s’ennuie vite, et il est bon de le réveiller à intervalle régulier.

– Votre livre doit toujours déboucher sur une happy end. Il est absolument impensable de déroger à la règle. Si vos personnages se sont emportés et ont oublié cette consigne, ou si vous voulez ajouter de l’intensité dramatique et introduire par exemple une scène de rupture au sein du couple, inutile d’ajouter quinze chapitres dans le seul but de les réconcilier. Le livre doit impérativement rester court. Feignez plutôt la surprise : « Comment ? Que font-ils à nouveau ensemble ? Ils s’aiment, pourquoi ? Une dispute ? Quelle dispute ? Ah, oui, j’oubliais. Mais en fait, ils se sont réconciliés entre-temps. Donc, je disais, ils se marièrent (ou pas) et firent un bébé ». Votre lecteur ne vous en voudra pas. Au contraire, il vous en saura gré. Une triste fin aurait gâté le coucher de soleil en famille et il aurait fait jouer ses assurances pour se faire rembourser le roman.

 

Une fois les ingrédients mélangés, puis la cuisson réalisée, vous pouvez livrer votre texte à l’éditeur, et enfin vous consacrer à écrire un vrai roman, au vocabulaire étendu, à la syntaxe étudiée, et à l’intrigue complexe, et y prendre plaisir. Ce livre-là ne sera jamais un best-seller, mais peut consister pour vous en un délicieux passe-temps, comme d’autres font du point de croix ou des mots croisés.

 

Mélanie Rottweiler

 

* Inspirée par le roman Jules, de Didier van Cauwelaert, best-seller de l’été 2015.

 

 

© Hypallage Editions – 2015

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