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OUVERTES À

LETTRES

Crime de « Leys majesté »

Nouvelle lettre ouverte à Amélie Nothomb

 

 

Baka ! Inakamono !

 

C’est à moi que j’adresse ces mots inqualifiables : que n’ai-je pas fait en abandonnant sa tête à l’adepte du Pendu, l’autre fois ? Le chef d’Amélie aura été récupéré par le disciple de l’Iscariote pour une opération de nécromancie hideuse, qui nous vaut, terrifiés, de voir ressurgir le spectre de « nos tombes » !

 

À la rédaction d’Hypallage Editions tout un chacun croyait que je l’avais exécutée d’un trait fulgurant de wakizashi ! Or voici que, blême et toxique dans son entêtement extrême, la tête du champignon, pétase noir funèbre et disgracieux en surplomb, a repoussé ! Son pied bot fibreux vient de prendre racine à l’Académie royale de Belgique. La moisissure sait trouver les terreaux les plus fertiles à l’entretien de ses nécroses régurgitées.

 

Et puis quelle complaisance dans la réception de l’éloge, quelle apologie du dithyrambe sous le chapeau académique à peine ajusté :

« Il serait dommage que d’aussi admirables compliments s’usent, je vais donc essayer de m’en servir, peut-être en tentant de les mériter », s’autoflagelle de bénédictions l’impénitente impétrante. Quelle glose en soi ! Plus torve auto cunnilingus réclamerait l’ablation des côtes flottantes !

 

Mais là n’est pas le plus grave, car nous avons tous nos petites faiblesses à contenter, nos petites blessures narcissiques à calmer, contre le feu rageur desquelles le baume des honneurs, même s’il est tarifé, apporte un peu d’apaisement. Mais au diable nos minables égos d’égoutiers ! Le plus grave, disais-je, parce qu’irrémédiable, c’est que le vermisseau vient renverser un géant, et y parvient ! ce dont convient la prétentieuse sangsue face à la statue du Commandeur sur laquelle elle va anter sa misérable visqueuse adhérence :

« Entrer à l’Académie royale de langue et littérature françaises est certes démesuré pour moi, mais y entrer pour prétendre succéder à Simon Leys est carrément impossible ! » (Amélie Nothomb, Discours de réception, 19 décembre 2015).

 

Ce n’est pas ici la victoire d’Amélie que nous récusons, mais la défaite de Simon Leys que nous déplorons...

 

Chez Hypallage Editions, nous comptons de nombreux admirateurs de l’œuvre courageuse et impertinente du grand sinologue et critique littéraire belge. Je crois savoir que Messieurs Jean Durtal et Damien Saurel sont encore abasourdis par la félonie accomplie par la sournoise Brabançonne. Et admirez, si vous avez quelques fascinations pour le mal à la manœuvre, par quelle odieuse rhétorique – qui sape tout le travail de contre-feu idéologique accompli en son temps par Leys –, Amélie parvient à ses fins, lâchant in extremis et totalement imparable pour un défunt privé de voix son missile TOW made in USA en pleine carlingue du T72 russe venu à la rescousse des chrétiens d’Orient : Mademoiselle Nothomb, sans fard, sans rougir (sa carnation de zombie le lui interdit), nous assène qu’Hitler, Mao et Poutine c’est tout un !

 

« À ceux qui prétendaient qu’on ne pouvait pas condamner les crimes de Mao parce qu’ils relevaient de la culture chinoise, Leys rétorquait qu’à ce compte-là il ne fallait pas médire du nazisme qui aurait peut-être été une façon allemande de passer le temps. Cette réponse géniale reste hélas d’utilité publique, quand on entend déclarer qu’il ne faut pas critiquer Vladimir Poutine parce que sa politique exprime l’âme russe » (Ibid.).

 

Ben, voyons ! Dans le genre assassinat géopolitique sans gants (même si la tueuse n’est pas native des Flandres), c’est le pompon nauséabond et l’ignominie falote, un brin d’ébriété contenue, l’air de rien je vous encule ! La naine blanche, trou noir en puissance, va pouvoir inscrire la surface circonscrite des os saillants de ses maigres fesses sur le marbre léonin du siège d’un géant détrôné. L’improbable teigne aura dépouillé de son combat pour la justice un grand homme. L’histoire jugera désormais que d’un seul trait d’union sont liés le maoïsme, le nazisme et le régime de Poutine... annihilant par là même toute hiérarchie de valeurs dans un raccourci totalitaire.

 

Autant dire que Leys est mort assassiné un certain 19 décembre 2015 avec ses propres armes et bagages intellectuels remaniés par une vénéneuse herméneute, dont il avait croisé à l’âge de sept ans le regard plein de duplicité et de concupiscence intellectuelles :

« J’avais sept ans et je n’avais jamais rencontré d’écrivain. [...] En nous présentant Simon Leys, mon père apporta ce démenti, cette révélation : non seulement un écrivain était quelqu’un qui existait en vrai, mais c’était quelqu’un qui existait plus que les autres. Jamais je n’avais entendu tant d’admiration dans la voix paternelle qu’au moment où il prononça cette phrase : « Simon Leys est un écrivain. » J’en conclus que les écrivains étaient des gens qui méritaient une vénération sans équivalent » (Ibid.).

 

Souvenez-vous du titre et du thème du roman inaugural de Nothomb, cette histoire d’assassinat programmé d’un écrivain mentor par une jeune plume envieuse. Voici démasqué le crime originel, la marque de fabrique de cette perverse performeuse. Entendez l’aveu :

« Quand un acte même terrible obéit à la plus haute inspiration, il sera accompli dans la plus extrême jouissance » (Ibid.).

 

C’est la fameuse Hygiène de l’assassin, poursuivie de livre en livre jusqu’au dernier en date, explicitement titré : Le crime du comte Neville, crime non seulement évoqué, mais invoqué.

 

Nous ne pouvons que déplorer que le vice ait frappé l’intègre Simon Leys. Or, il y avait une faille en son apparente intégrité, une faiblesse à une des jointures de son armure de chevalier blanc... (Notez que c’est Nothomb et non Badiou qui aura porté le coup fatal).

 

Mais enfin qu’allait-il faire dans cette galère ? dans cette académie flatteuse certes, mais fâcheuse au regard de la postérité ? Tout homme libre et souhaitant le demeurer devrait décliner tous les honneurs, tous les hochets bruyant de compromissions, toutes les récompenses trop chèrement payées d’avance ou très embarrassantes à l’avenir.

 

On peut concevoir que Leys ait doublement accepté l’hommage de l’Académie afin d’asseoir son statut jusque là précaire d’adversaire isolé du maoïsme triomphant, de même qu’il pouvait espérer obtenir par le biais de cette reconnaissance prestigieuse une issue au calvaire administratif de son fils alors arbitrairement apatride. Leys aura transigé – a minima – avec les honneurs, tout comme Julien Green qui accepta de siéger sous la Coupole pour sauver son logement parisien duquel un propriétaire sans scrupules cherchait à l’expulser dans le but de reconstruire un immeuble flambant neuf de grand standing sur les ruines de l’ancienne bâtisse haussmannienne chérie par l’homme de lettres. De ce lieu, il ne reste trace que dans le Journal, car Green échoua à arracher les vieilles pierres aux griffes des promoteurs immobiliers...

 

Mais Leys y perdit davantage : son honneur ! Une maudite gueuse l’aura dépucelé de sa vertu tutélaire sur le fauteuil même de sa glorieuse intronisation académique. Le siège (consenti/subi) aura livré la Cité interdite entière !

 

Chers Académiciens, chers Messieurs Durtal et Saurel, chers admirateurs et amis de Pierre Ryckmans, vous me voyez aux regrets de vous annoncer que votre héroïque écrivain vient de tomber au champ d’honneur...

 

Fermez le ban !

 

Alexandra Lampol-Tissot

(Membre du comité de lecture chez Hypallage Editions)

 

 

© Hypallage Editions – 2016

 

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