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OUVERTES À

LETTRES

Brisez votre plume, et remontez sur scène !

Seconde lettre ouverte à Fabrice Luchini

 

 

 

Monsieur Luchini,

 

J’ai essayé. Je vous assure, j’ai vraiment essayé. Mais je n’ai pas pu continuer. Je vous ai laissé dans le bus 80, avec votre mère. Moi, j’en suis descendue avant la fin du parcours. Le grand Luchini, dont j’admire tant le jeu d’acteur, Luchini le grand, donc, qui publie un livre… Pensez donc, je l’achète, je m’installe confortablement, je commence ma lecture. Eh bien non ! je n’ai pas pu finir, ni même vraiment commencer.

 

Et encore, heureusement que vous citez des auteurs à toutes les pages, auteurs que j’ai eu, il est vrai, grand plaisir à relire dans les extraits que vous proposez. Cela permettait à ma lecture de se reposer entre deux passages de vous. Parce que, non, vraiment, une conversation fluide, familière, entre vous et les auteurs, non, ça ne le fait pas trop, en fait. Il est vraiment épuisant de vous lire. Et pourtant je ne suis pas du genre à lire de la littérature de Relais H ou du d’Ormesson, non, je suis habituée et je survis aux styles un peu recherchés, un peu intellos, voire même ampoulés. Mais le vôtre, ce n’est ni qu’il est recherché ni qu’il est ampoulé ni qu’il est intello, c’est juste que je décroche avant de savoir ce qu’il est vraiment, c’est-à-dire avant la fin de la phrase. Votre texte accroche. Et moi, je n’accroche pas du tout, je décroche. Justement, puisque Céline, Molière, La Fontaine ont si bien écrit, pourquoi répandre votre prose au milieu de ce qui a déjà été si bien dit ? Non, le Bourgeois gentilhomme, incarnez-le tant que vous voudrez à la scène ou à l’écran, mais, de grâce, ne lui écrivez pas son texte ! Vous nous avez habitués à mieux.

 

Si au moins il s’agissait d’une simple autobiographie, comme j’aime bien en lire. Car oui, j’aimerais bien savoir, moi, comment l’immense acteur que vous êtes en est arrivé là, comment ça a débuté, et où ça a dérapé. Mais non, vraiment, je ne peux pas ; pour le savoir, il faudrait me taper vos digressions pseudo-littéraires, vos gargarismes verbaux, votre ramage et votre plumage. Tenez, je me suis même dit : ce n’est pas possible, je dois mal m’y prendre. Alors j’ai essayé de le lire à haute voix (une fois mon Jules endormi, parce qu’il m’a demandé si je pouvais écrire ma liste de courses à voix basse). Puis j’ai essayé de le lire en vous imaginant dire votre texte. J’entendais distinctement votre voix, votre diction parfaite. Mais le contenu, mon Dieu, le style ! Aïe, aïe, aïe ! Je sais, c’est dur à entendre, mais, Monsieur Luchini, vous êtes un comédien, un très grand comédien, un homme de l’oralité ! Et certes pas un écrivain. Voilà, c’est dit. Parce que si je ne vous le dis pas, personne ne vous le dira. À part bien sûr notre amie Alexandra, l’entarteuse littéraire à la plume redoutable, qui vous a déjà mis en garde contre cette tentation littéraire, bien rudement je l’admets, et à laquelle vous n’avez d’ailleurs pas donné suite puisque vous ne lui avez pas répondu.

 

Je vous ai vu et entendu disserter, dans une improvisation géniale, à propos d’une brosse à dents, il y a maintenant plusieurs années, chez Ardisson ou Ruquier, je ne sais plus (vous savez, là où le Tout-Paris défile ; on ne passe plus chez Pivot, mais chez eux maintenant). Cette prestation, dont je me souviens encore, vous voyez, était tout simplement époustouflante, et je me souviens m’être dit alors : cet homme a du génie, il est capable de nous intéresser à une simple et prosaïque brosse à dents, rien que par son verbe. Mais à l’écrit, non, vraiment, ça ne le fait pas, comme on dit. C’est comme une carte d’anniversaire 3D trop manipulée. On ouvre la carte, mais le décor ne se dresse pas, elle fait, hélas, du bruit parce que la musique fonctionne encore, mais la carte reste désespérément plate.

 

Monsieur Luchini, la Comédie française, oui, l’Académie française, non. Brisez votre plume et remontez sur scène. Du panache, que diable !

 

 

Mélanie Rottweiler

 

 

© Hypallage Editions – 2016

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