Je_

Je suis né le 27 octobre 1970. Je suis l’auteur de recueils de poèmes, de nouvelles. Dès l’enfance, je me passionne pour la création, en particulier l’écriture, la peinture et la photographie.

 

Écrire_

Il y a comme une pirogue sur le tissage du cœur, mais les gens ne le savent pas. Ça vibre, ça palpite, ça voyage, vers nous.

Au fond, tu as quitté ce besoin viscéral d’écrire pour écrire vraiment. Tu n’ignores rien de ces bifurcations, de cet attendrissement, de cette intention aussi. Celle qui t’habite, curieuse et limpide à la fois.

Il n’est jamais simple de répondre à cette question : « Pourquoi écrire ? » ou « Pourquoi écrivez-vous ? ». Tout d’abord parce que cela relève de l’intimité. Ce que l’on peut assurément noter chez la plupart des écrivains, c’est le désir de répondre à un besoin vital de donner une existence à une nécessité intérieure. Comme le dit Roland Barthes : « La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer ». J’aime beaucoup cette citation de Franz Kafka aussi : « La littérature est assaut contre la frontière » ; j’ajouterai simplement « contre la frontière [intérieure] ». Frontière, borne, délimitation, démarcation, limite, comme on voudra pour matérialiser l’impérieux besoin de création au centre de soi. Pour autant, il ne faudrait pas prendre cette réflexion pour de l’égocentrisme. Mais plutôt comme une irrésistible, une pressante injonction à coller au plus proche de soi-même.

Similairement, on retrouve souvent la question tournée dans un autre sens. Tel que : « Faut-il avoir quelque chose à dire pour écrire ? ». Quelque chose d’intelligible ? Au fond, on revient au questionnement initial. C’est cette nécessité intérieure qui est le message des auteurs. Cette motivation intime qui est véritablement un aveu, une déclaration, en amont de la production littéraire proprement dite. Si je ressens ce besoin, c’est que, fatalement, j’ai quelque chose à dire. Alors, ma parole vaut aussi.

Il faudrait ajouter un mot sur « quoi écrire ? » À mon sens, cela s’apparente plutôt aux considérations d’ordres techniques. Le genre, la traduction matérielle d’une pensée, le style, l’objectif, etc. Ce qui ne nous intéresse pas ici.

On pourrait mentionner le fait que l’écriture, une fois l’œuvre produite, échappe toujours à l’auteur. En quelque sorte, l’écrivain n’a plus la main sur ce qu’il a produit. L’œuvre prend parfois une ampleur sociétale, une dimension sociale, une envergure culturelle étonnante, sans que cela soit prémédité. L’œuvre symbolise quelquefois, entre les balises morales de l’homme et des sociétés, l’insoumission, la dépravation, des idées neuves, un regard de haute volée sur le monde. Ce qui n’est pas sans engendrer de l’étonnement, de la sympathie, de la répugnance, de la haine. L’œuvre est parfois récupérée à des fins politiques ou sert des causes humanistes. Cependant, tout cela bien plus loin en aval du cocon intime et profond qui l’a fait naître.

Bien sûr, on pourra trouver chez d’autres des motivations différentes. Il y a autant de raisons d’écrire que d’écrivains. Par exemple, l’auteur de pamphlets aura pour but de s’attaquer à un pouvoir quelconque, de dénoncer des injustices. Un romancier axera son défi sur le plaisir, le rêve, l’évasion, qu’il pourra donner aux lecteurs.

Mais pour se comprendre, il est bon de se poser la question suivante : « Que serait ma vie sans l’écriture ? » Pourrais-je vivre sans cela ? Serais-je en phase avec moi-même ? Vivre, tout simplement, serait-il possible ?

J’écris parce que je dois écrire. Le poème, le texte apparaissent, chaque fois qu’une peuplade solaire de sons et d’images s’installe dans la poitrine ou couve sous le fleuve de peau du corps ; chaque fois qu’un monde équivoque circule comme du sang neuf dans les artères. Les mots naissent d’un effondrement enfantin, d’une ouverture, de la plus petite particule qui voyage en fraude telle une fée miniature et hallucinée entre les routes ferrées de la plénitude.

Parfois, la pluie, l’écume bleue d’une caresse ruissellent sur les barreaux qui encagent le cœur. Quand le jour s’épuise, il y a ce soulèvement, cette tension justificative de la vie, à l’intérieur. Il y a la part de malédiction, la saignée, une étoile, un coin de nuage, dansant sur les pupilles. Tout ce qui nous consume et nous maintient vivants, paradoxalement.

Mais qu’importe la mer, les arbres aux épaules de ruffians, le sable poudreux qui tombent des astres, sans les mots. Qu’importe la mer, les arbres, le sable, sans les mots au-dedans. À quoi servirait le long roucoulement de l’espace au-dessus de nos têtes, si ce n’est pour vivre incroyablement proche du monde ? Je sais que la chanson de nos vies manque de couleur. Je sais que ta silhouette pleine de fragments, d’impacts de rêve, comme nous tous, quitte souvent le monde. Cargo fantôme, tu dérives vers un port de fortune ressemblant à un baiser sans amour. La dérive même est notre patrie.

Nos bras sont trop courts, lessivés. Nous n’attrapons qu’avec les yeux. Parce que tout se répond, tout se fait écho dans le cœur des choses. Il suffit d’écouter les choses et les êtres qui les traversent pour comprendre qu’il n’y a ni ordre ni désordre dans ce qui nous entoure. Les choses sont de longues trajectoires, des météores, des sortes d’aérolithes aux traînées vaporeuses. Elles nous paraissent immobiles alors qu’elles sont en réalité des vortex avalant la conscience.

Ce qui coule le long des fissures, le courant, une lisière verticale.

On pourrait pleurer après le dépouillement. Trimbaler nos carcasses alcoolisées sur de l’asphalte trempé d’urine sans toucher aux gouffres derrière les yeux. On pourrait continuer à écrire sans voir, comme penser au ciel sans jamais y monter, comme s’empaler sur un horizon perdu en nous et non au-delà de nous. Qui niera qu’écrire n’est pas aussi l’arbre sensible où nous accrochons nos furtifs mirages, nos brèves amours. Pourtant, personne n’en revient vraiment. Personne n’en revient vraiment, car il y a plus.

Avant, il fallut renoncer aux promesses. Se cacher au travers du monde trop grand. Trop grand pour moi, trop grand pour toi. Même quand l’idée rassurante d’un nuage déroulant sa main, ses séquences baroques, sur la rue, ne devenait plus accessoire. Il fallait bien continuer à lutter. Tout au moins avancer. Ne pas laisser pourrir le fouillis de caillasses emplissant la voix. Ne pas laisser se perdre la preuve de l’attention portée aux multitudes d’éternités contenues dans l’instant.

Mais le poème, le texte ne sauraient être autre chose qu’un indice. Quand le poème apparaît, lorsque le texte se forme, ce que je vois est double. Il y a ce que je suis, mêlé aux mondes qui s’ouvrent. Il y a toutes ces impermanences tangibles.

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